Deux nus sur une plage de Tahiti par Paul Gauguin |
Paul Gauguin (1848-1903) est l'un des principaux peintres post-impressionnistes. Il comptait parmi ses pairs Vincent van Gogh et son œuvre a influencé d'autres artistes célèbres tels que Henri Matisse et Pablo Picasso. Il convient de noter qu'il n'était pas un citoyen modèle. Il s'est fait connaître pour son style de vie lascif et indulgent.
Il a vécu à Tahiti pour la première fois de 1891 à 1893. Il y découvre la nudité occasionnelle chez les indigènes et passe lui-même du temps nu. Ces expériences lui ont permis de décrire un environnement où l'absence de vêtements désexualisait les femmes et créait des relations plus égalitaires entre les sexes. Il est d'autant plus intéressant qu'il ait fait ces observations que Gauguin était tristement célèbre pour avoir eu des relations avec de nombreuses jeunes femmes tahitiennes.
Ses observations sont similaires à celles que l'on entend souvent aujourd'hui de la part des naturistes. Lorsque les gens sont libérés de leurs vêtements, leur attitude change. Les conversations sont souvent plus authentiques et sans prétention. Nous présentons notre moi authentique aux autres, non seulement physiquement, mais aussi émotionnellement et spirituellement.
Extrait de Noa Noa publié en 1919 par Paul Gauguin :
(Traduit par O. F. Theis)
Chez les peuples qui vont nus, comme chez les animaux, la différence entre les sexes est moins accentuée que sous nos climats. Grâce à nos cintres et à nos corsets, nous avons réussi à faire de la femme un être artificiel. Elle est une anomalie, et la nature elle-même, obéissant aux lois de l'hérédité, nous aide à la compliquer et à l'ennuyer. Nous la maintenons soigneusement dans un état de faiblesse nerveuse et d'infériorité musculaire, et en la protégeant de la fatigue, nous lui ôtons toute possibilité de développement. Ainsi modelées sur un idéal bizarre de minceur auquel, curieusement, nous continuons d'adhérer, nos femmes n'ont plus rien de commun avec nous, et cela ne va peut-être pas sans de graves inconvénients moraux et sociaux.
A Tahiti, les brises de la forêt et de la mer fortifient les poumons, élargissent les épaules et les hanches. Ni les hommes ni les femmes ne sont à l'abri des rayons du soleil ni des galets du bord de mer. Ensemble, ils s'adonnent aux mêmes tâches avec la même activité ou la même indolence. Il y a du viril chez les femmes et du féminin chez les hommes.
Cette similitude des sexes facilite leurs relations. Leur continuelle nudité a préservé leur esprit de la dangereuse préoccupation du "mystère" et de l'accent excessif que les civilisés mettent sur "l'heureux accident" et les couleurs clandestines et sadiques de l'amour. Il a donné à leurs manières une innocence naturelle, une pureté parfaite. L'homme et la femme sont des camarades, des amis plutôt que des amants, qui vivent ensemble presque sans interruption, dans la douleur comme dans le plaisir, et l'idée même du vice leur est inconnue.
Voici la version originale en français :
Chez ces peuplades nues, comme chez les animaux, la différence entre les sexes est bien moins accentuée que dans nos climats. Grâce à nos artifices de ceintures et de corsets, nous avons réussi à faire de la femme un être factice, une anomalie que la nature elle-même, docile aux lois de l'hérédité, nous aide, sur le tard des races, à compliquer, à étioler, et que nous maintenons avec soin dans un état de faiblesse nerveuse et d'infériorité musculaire, en lui épargnant les fatigues, c'est à dire les occasions de développement. Ainsi modelées sur un bizarre idéal de gracilité-auquel nous restons, quant à nous, pratiquement, étrangers-nos femmes n'ont plus rien de commun avec nous, ce qui ne va peut-être pas sans de grades inconvénients moraux et sociaux.
A Tahiti, l'air de la mer et de la forêt fortifie tous les poumons, élargit toutes les épaules, toutes les hanches, et les rayons du soleil et les graviers de la plage n'épargnent pas plus les femmes que les hommes. Ils font ensemble les mêmes travaux, avec la même activité ou la même indolence. Quelque chose de viril est en elles, et, en eux, quelque chose de féminin.
Cette ressemblance des sexes facilite leurs relations, et la nudité perpétuelle, en écartant des esprits la préoccupation dangereuse du mystère, le prix qu'il prête aux "hasards heureux" et ces couleurs furtives ou sadiques de l'amour chez les civilisés, donne aux mœurs une innocence naturelle, une parfaite pureté. L'homme et la femme, étant des camarades, des amis autant que des amants, sont presque sans cesse, pour la peine comme pour le plaisir, associés, et la notion même du vice leur est interdite.